Dos au mur

Dos au mur

extrait

 

 

 

Connie regardait René avec un sourire mielleux, comme si ses vacances pouvaient le concerner d'une manière ou d'une autre. J'ai vu dans la seconde, je dis bien dans la seconde, le piège grossier. J'ai rarement, dans toute ma vie, essayé de peser, directement, sur René. Pour ce qui concerne les actions, je reconnais que mon colocataire fait avancer l'attelage, et que, sans lui, je resterais planté comme une vis rouillée, fichée dans un mur effondré, au milieu des orties, des boîtes de conserve et du caca, mais là, la situation était extrêmement grave. 1. Un inconnu avait sonné. 2. Il amenait un témoin de sexe féminin qui agissait sur René. 3. Il voulait m'installer dans ses lieux à lui avec un chat qui comprenait tout ce qu'on disait. 4. Il tendait, sans même attendre la réponse, ses clés. 5. Je connaissais les tendances profondes de René. Je savais qu'il allait accepter, nous entraînant dans une catastrophe.

Alors j'ai lancé mon va-tout. J'ai usé d'un pouvoir très spécial dont la nature m'a fait bénéficier, il s'agit du brouillage mental. J'ai communiqué directement avec l'esprit de René, ça relève d'une opération super difficile, qui a couvert tout mon front de sueur. Mais le mieux que j'aie pu obtenir c'est cette phrase de René:

— Toi aussi, tu cèdes à la panique, tu fuis mon pote, tu te suis, et voilà! le grand désastre de l'été! la fonte des glaces! tu t'essuies avec tous les autres!

Et le pire c'est qu'Alain a eu l'air soulagé, puisqu'il a rigolé en disant:

— Eh ouais, je suis qu'un petit Français, moi, j'ai besoin de dérivatifs, je pars avec les autres. Je ne suis pas un artiste, que veux-tu.

 

Un artiste! D'où il sortait cette connerie? Ce genre de flatterie était-elle censée nous amollir? En fait, j'étais tellement dégoûté que je n'ai même pas écouté sa réponse. J'ai tout laissé filer. Les salamalecs du visiteur, les clés entre les doigts de René. Et même quand ce prétentieux s'est mis à expliquer le coup du dictionnaire et qu'Alain a fait état de ses compétences en mise en pages ou je ne sais quelle PAO, et qu'il a dit qu'il connaissait un dessinateur «super», car «un dico sans schéma, c'est comme de l'aspirine en sandwich», j'ai rien fait pour que René décline ses offres de service, au retour des «vacances», et puis il a fallu qu'il revienne sur l'histoire de l'aspirine, sur son aspect drolatique et il a fait sortir un rire de bonne compagnie, mais ça arrivait trop tard, sa lèchecuterie, et il a freiné en raclant la gorge. Connie a dit qu'ils allaient pas te-déranger-plus-longtemps, tout ça parce qu'elle se faisait chier, ou du moins qu'elle avait envie de pisser. René s'est tire-bouchonné jusqu'au premier étage, de plus en plus plissé par un sourire d'une servilité lamentable. Il m'a laissé seul, tandis que lui avançait en terrain découvert, chez ce mec sans vergogne, qui lui montrait la topographie de son appartement, les boîtes de Whiskas dans le frigo, le bac à sable de la bête dont il fallait, donc, évacuer les étrons, les plantes et tout le bazar. René n'enregistrait plus grand-chose comme images, à part des gros plans du bas du dos de Connie revenue des W.-C. A un moment le chat a filé le long de sa jambe en miaulant nerveusement, il s'appelle Vaxin, Connie a précisé son orthographe en riant, elle était d'ailleurs très souriante, Connie, elle se retournait et souriait à René. Cet imbécile prenait ça pour lui, alors qu'il s'agissait d'une opération de pure défiance; elle le dévisageait et sentait se préciser l'image d'un type déplaisant, elle ne parvenait pas encore à cerner la nature de son hostilité, mais c'était très net. Il fallait s'être noyé au fond de soi pour ne pas s'en rendre compte.

 

Sans le rouge à lèvres qu'elle avait étalé sur le verre, elle paraissait plus jeune et plus méchante à la fois. A mon avis, elle savait de façon certaine que ce gus n'était pas une bonne solution, qu'il n'était pas le gentil locataire que son copain avait inventé. Plutôt un mec à salades. N'empêche qu'en revenant René n'avait que son nom à la bouche, et puis, tout en le savonnant au-dessus du lavabo, j'y ai repensé, à Connie.

 

 

L'éditeur m'a rendu grâcieusement les droits de ce livre, qui peut être de nouveau édité.



19/05/2011
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